Ce plasticien de 32 ans fait dans la dentelle. Pour aider à une meilleure prise de conscience des enjeux écologiques, Jérémy Gobé rapproche éléments naturels menacés, tel le corail, et anciens savoir-faire industriels en voie de disparition.
À l'image de quelques-uns de ses aînés. comme Olafur Eliasson ou Mark Dion. l'artiste français de 32 ans s'intéresse de très près a l'écologie. Dans un fulgurant rapprochement, il aborde le réchauffement climatique comme la question des délocalisations. entremêlant disparition des coraux et perte des savoir-faire industriels. Le plasticien expose ses formes organiques et proliférantes, sculptures sinueuses en tricot qu envahissent l'espace telles des plantes grimpantes, jusqu'au 6 Janvier 2019 au Musée Bargoin, à Clermont-Ferrand. Son travail est également présenté dans «Soft Power», au Transpalette, à Bourges.
L'art a toujours été un combat pour ce Jeune homme issu d'une famille de militaires. Adolescent cherchant sa voie, Jérémy Gobé avoue sa flamme artistique à sa conseillère d'orientation, qui l'aiguille vers, ... la peinture en bâtiment. D'autres conseils. plus avisés. dirigeront le Jeune bachelier vers l'architecture à l'École Nationale Supérieure d'Art et de design de Nancy, ou il fait ses gammes, trois ans durant, avant de rejoindre Paris et les Arts Déco. Curieux de tout, l'étudiant Gobé s’essaie à toutes les techniques pour finalement se concentrer sur la sculpture textile.
L"art pour l'art, très peu pour lui. Jérémy Gobé, rêveur, reste néanmoins ancré dans la société, influencé par une grand-mère couturière. Il cherche a retrouver le geste de l'artisan.
Le jacquard, en particulier, n'a rien de désuet à ses yeux. Les hauts fourneaux de sa Lorraine d'origine s'éteignent les uns après les autres, l'économie textile est en perte de vitesse, mais Jérémy Gobé n'a pas l'intention d'oublier cette histoire. Encore étudiant, en 2009, il rapporte des kilomètres de tissus d'une usine de coton à deux doigts de ta fermeture Et décide d'en faire la matière vivante de ses premières sculptures. Les ouvriers étaient attachés à leur emploi, mais aussi à leur savoir-faire, raconte-t-il. Ils se sont dit qu'à travers un jeune artiste leur histoire allait continuer. » Pour lui, pas question de recevoir sans donner en retour «J'ai grandi dans un milieu de travailleurs. Je me devais de réintroduire cette notion de l'effort dans l'art. Si on veut toucher un public large, il faut trouver un langage commun avec les ouvriers, les artisans, les employés. Comprendre ce qu'ils font pour créer un cercle vertueux."'
Voilà huit ans, un autre objet, moins social qu'écologique, commence à le hanter. Chez Emmaüs, il achète des coraux, s'inspire de leurs formes sinueuses pour ses sculptures. Un choc esthétique, se souvient-il. Les barrières de coraux, apprend-il alors, contiennent 25 % de la biodiversité marine et servent de rempart aux tsunamis. Elles sont aussi importantes pour les océans que la forêt amazonienne pour notre oxygène et subissent, elles aussi, l'effet du réchauffement climatique et de la pollution, qui précipite leur extinction. Dans le cerveau de Jérémy Gobé, les données se télescopent, l'état du corail et celui du tissu industriel français réclament le même secours. Lui vient alors l'idée du projet «Corail Artefact» sauver les coraux- et la planète ! - avec de la dentelle, dont le point ressemble bigrement.. au squelette du corail.
Farfelu? Pas pour les scientifiques. Isabelle Domart-Coulon, chercheuse au Muséum national d'histoire naturelle, prend le projet au sérieux. Depuis trente ans, les biologistes marins expérimentent béton et cages d'acier comme tuteurs pour favoriser les boutures de corail. En vain. Alors, pourquoi ne pas utiliser la dentelle, suffisamment rugueuse pour soutenir l'accroche, assez transparente pour faciliter la photosynthèse et dont le biomimétisme avec le corail est criant ? Avec cette idée délicate que le corail aimerai se développer sur ce qui lui ressemble. L'hypothèse est plausible. Et le temps presse. Gobé se rapproche de la Scop Fontanille, au Puy en Velay, qui a évité la fermeture grâce au volontarisme de ses salariés. Ensemble, ouvriers et scientifiques réfléchissent aux modalités de création de cette dentelle révolutionnaire. Jérémy Gobé, lui, double cette folle aventure scientifique avec son intuition artistique.
Le jeune homme n'entend pas s'arrêter en si bon chemin. Il a monté un fonds de dotation pour que ses collectionneurs participent à ses projets. Avec l'idée, à terme, de soutenir d'autres initiatives mêlant art et sciences "Quoi qu'il arrive, espère l'artiste, on a sensibilisé les gens, crée une dynamique et même des emplois. On peut se dire qu'on a planté une graine qui donnera d'autres fruits."