Terra di seta
Par
Sabine Barbé

Terra di seta

Jérémy Gobé est un sculpteur funambule et notre chance est de le suivre sur son fil délicat : l'exposition de ses œuvres qui se tient actuellement au Filatoio Rosso de Caraglio, Terra di Seta vient à propos réaffirmer ce lien que le jeune artiste entretient avec le fil - il sera de soie ici, bien sur - et ses extensions matiéristes.

L'endroit, une ancienne manufacture de production industrielle de la soie, devenu il y a quelques décennies un musée et un centre d'art, est imposant avec son architecture robuste et séculaire ; c'est aussi un lieu chargé d'histoire, la grande et les petites, celles de ces hommes et femmes, ouvriers et ouvrières de la filature de Caraglio.

Les installations de Jérémy Gobé s'inscrivent très naturellement dans ce lieu « aux murs murmurants » : déjà, sa Liberté guidant la laine, œuvre désormais pérenne au Filatoio faisait résonner les luttes … rouge, poings et mains liés, levés, magnifiés par la magie d'une tapisserie géante et tentaculaire, véritable monument à la gloire du travail des hommes de mains et de rêves, les ouvriers et les artistes.

D'entrée, la vidéo Navette donne le la : les lignes, le rythme des lumières, les jeux d'ombre, la vitesse des passages de cette navette, celle du métier à tisser, se muent en de vertigineuses abstractions. Métaphore filée certes, de ce qu'est l'art et ses manières à travers la nature et ses matières, confiteor de l'artiste revendiquant les métamorphoses les plus précieuses pour engager le spectateur à réfléchir et à méditer sur le temps qui passe et la condition humaine. Pour preuve sa Torsion produites par l'extrême enroulement de 40 mètres de rideaux de soie, soit le parcours de l’exposition. Y voir alors, selon le point de vue, les chevelures soyeuses des blondes Vénus anadyomènes ou la musculature désespérément contractée de quelques Lacoon et autres Esclaves de l'histoire de l'art …

400 000 cocons retiendra particulièrement le visiteur : 400 000 cocons fragilement disposés pour ce monument à la soie, un hymne à la joie de vivre en quelque sorte, joie de voir et de rêver. On sait que le fil dévidé du cocon mesure environ 1000 mètres, l'artiste dispose donc de 400 000 kilomètres de fil de soie, ceux-là dont il avait précisément besoin pour nous faire parcourir la distance de la terre à la lune.

Eurêka est une suite qui reprend la théorie des Solides de Platon : cinq polyèdres « parfaits » - symbolisent les cinq éléments (Feu, Air, Eau, Terre et Univers), essence et origine de toutes choses selon le philosophe. Chacune des pièces est ici présentée enveloppée et drapée de soie, comme en suspend entre ciel et terre, disons entre sol et plafond : fiction géométrique ou tension de l’oxymore, qui trancherait ? Car sous ces robes lascives, la certitude des angles s’émousse… Ainsi ne pas « faire la part des choses » pour mieux tenter l’équilibre et la beauté. N’est-ce pas à de tels possibles que nous convient ces formes dans l’espace ?

Pas à pas, tout doucement sur le fil, nous répondrons à l'invitation : rêve et réalité en balance, nous marchons sur l'épaisseur ténue du jour.